mais pourquoi me leverais-je et pour qu'il le faudrait-il? c'est du passé qui s'endort, je n'ai plus que des souvenirs. - Bay, tu veux dire quelque chose ? Une main serre la sienne, un regard se lève sur elle. Mais Bay ne le voit pas, elle ne le sent rien. Elle ne sent rien d’autre que ce vide, que cette atroce douleur qui lui tord les entrailles. On  lui a dit, on lui a dit qu’elle ne comprendrait pas, qu’elle s’attendrait à la voir entrer dans une pièce, le sourire aux lèvres, qu’elle ne réaliserait pas. Ils disaient qu’ils étaient désolées, présentaient des condoléances à tout va. Mais pourquoi ? Pourquoi étaient-ils désolés ? Est-ce que celui qui l’avait écrasé était ici ? Est-ce qu’ils étaient tous coupables de lui avoir enlevé sa sœur ? Ses yeux étaient secs d’avoir trop pleuré. Son cœur lourd d’avoir trop peu vécu, trop peu partagé. Quand on se lève le matin on ne se dit pas, c’est le dernier. La dernière fois qu’elle me réveille, la dernière fois qu’elle part en claquant la porte. C’est seulement après, après qu’on se rappelle. Ses derniers mots, ses dernières disputes, son dernier sms. Putain, t’aurai pu me laisser du lait. C’était son dernier sms. A ce soir, ses derniers mots. Ça craint quand on y pense. La dernière empreinte. Si elle avait su. Un sourire relève doucement le coin de ses lèvres alors que son père l’appelle une nouvelle fois. – Bay ? Il a l’air inquiet. Elle le remarque maintenant. Mais elle s’en fiche. Elle peut pas s’en faire, ça fait trop mal. Bay elle a tout enfermé dans une boite. Le bon, le mauvais. Tout. Elle a essayé, vraiment essayé mais elle peut pas tout libérer, ça presse sur sa poitrine, ça coince ses poumons. Elle ne peut plus respirer Bay. C’est trop fort, trop présent. Ça la bouffe de l’intérieur. C’est comme une maladie la douleur. Ça s’attrape comme ça, au détour d’une rue et ça veut plus partir. Ça se répand, de haut en bas, de bas en haut jusqu’à ce que vous vous rouliez en boule quelque part, priant pour la terre vous engouffre. Et elle a prié Bay. Dieu sait qu’elle a prié. Bay récupère sa main, l’enfonce dans sa poche avant de faire demi-tour. Elle n’entend pas les hoquets de stupeur ni sa mère qui sanglote son prénom. Elle ne veut simplement pas rester là. C’est de la terre, juste de la terre. Tu né poussière et tu redeviendras poussière. C’est juste quatre planches de bois et un corps vide. Ce n’est pas Ava. Ava c’était un sourire, on voyait d’abord son sourire. Putain qu’il était beau, il vous donnait envie de dire n’importe quoi, rien que pour la voir sourire. C’étaient deux yeux bleus, deux yeux malicieux. Elle pouvait la comprendre d’un regard son Ava. C’était aussi un caractère de merde. Un bon vieux caractère de merde oui, de ceux qui vous laisse penser qu’il y a des claques qui se perdent. Elle était comme ça, passionnée dans tout ce qu’elle faisait. C’était une battante. C’était elle la force de leur duo. C’était elle. Et aujourd’hui il n’y avait plus que Bay, la pale copie d’une perfection faite femme. L’ombre de la lumière. Les lumières avaient disparues et il ne lui restait plus que l’obscurité. Elle était perdue dans les ténèbres noires de la solitude. Si parfaite, si complète qu’elle se savait perdue, à errer dans un océan sans fin. Ils étaient tous partis. Ils l’avaient tous abandonnés. Laissée pour compte.

et je saigne encore, je souris à la mort. tout ce rouge sur mon corps, je te blesse dans un dernier effort. Une main caresse son cou, légère comme une plume. Dans ce millième de seconde qui précède le réveil, elle aime à penser que c’est la sienne. Qu’il n’est pas parti, que rien n’a changé. Et la conscience tombe, dure, sans appel. Bay ouvre les yeux sur Porter, allongé sur le côté qui l’observe sans un mot. Elle ferme les paupières, les serre fort. Fort, fort, fort. Mais rien n’y fait. C’est toujours la main de Porter sur son cou, elle est toujours sous ce dôme, toujours seule. – Bonjour princesse. Il n’est pas si mal Porter. Il la laisse faire ce qu’elle veut. Il ne l’oblige pas à parler comme les autres. Quelques fois, elle a l’impression qu’il la comprend. Et quelques fois elle est simplement un corps chaud contre lequel se serrer la nuit. Ses lèvres se promènent sur sa joue, joueuses, appliquées. Son autre main s’infiltre sous le drap, réveillant ce feu en elle qui ne s’éteint qu’une fois le sommeil venu. Elle remplace une drogue par une autre. – Tu vas finir par me tuer. Qu’il dit alors qu’elle se place à califourchon sur lui, parfaitement consciente de l’effet qu’elle produit sur lui. Un sourire que l’on jugerait machiavélique s’étire sur ses lèvres alors qu’elle s’empare des siennes. On pourrait la croire triste mais elle rage et enrage de leurs absences. Il n’y a qu’en ces moments qu’elle peut la libérer, qu’elle peut pleinement chevaucher les vagues de colère qui s’emparent d’elle. - Café ? Elle hoche la tête, distraite par son corps d’athlète qui se promène nu dans l’appartement. Habillée, elle attrape le thermos qu’il lui a fait, dépose un baiser su sa joue, en remerciement et s’en va sans un regard en arrière. Officiellement, elle habite toujours chez les Baxter. Elle ne se souvient plus de la dernière nuit qu’elle a passé là bas. Elle ne peut pas. Les photos, sa chambre. Ils ont tout laissé en état, mausolée tranquille. Sur la colline, le vent disperse des mèches brunes autour de son visage. Son regard se pose sur ce dôme. Il lui arrive de se demander comment il est arrivé ici, dans ses moments de lucidité. Comment la brise peut encore lécher son visage, et pourquoi. Pourquoi eux, pourquoi ici. Elle pose son café et attrape son étui pour y sortir sa guitare. C’était leur truc la musique, leur petit secret. Elles répétaient des heures. Ava au piano, Bay à la guitare. Se souvenir lui pique les yeux, lui pique son cœur. Elle n’a plus chanté Bay, pas une seule fois depuis qu’il n’y a plus qu’elle. Pourtant elle trimballe sa guitare partout, comme un trésor à chérir. Les lettres menacent de s’envoler, ses lettres. Bay referme l’étui sans même y jeter un coup d’œil. Il était parti, il avait fait son choix. Ses doigts caressent les cordes alors que la brise emporte ses notes au loin. Amère mélodie.